Une richesse surprenante des cépages Hungaricum
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Une richesse surprenante des cépages Hungaricum

Apprécier un vin, c’est connaître les cépages utilisés pour sa vinification. C’est toute la personnalité du vin qui se définit par le type de raisin utilisé. Cela vaut aussi pour les cépages hongrois. Beaucoup parmi eux, pourtant autochtones, ne sont pas du tout connus en France.

Le climat continental de la Hongrie est tout simplement idéal pour faire pousser le raisin. Sa situation septentrionale – comme celle de la Bourgogne − est marquée par des hivers très froids et des étés chauds et secs. Plus de 200 variétés de raisins sont cultivés sur 65 000 hectares.

Les cépages autochtones

Si l’on essaie d’énumérer les cépages hongrois actuellement cultivés, selon leur origine et leur zone de production actuelle en les reliant au bassin des Carpates, on peut dresser une belle liste. Grâce aux tests ADN les plus récents, il est désormais possible de déterminer avec certitude l’emplacement du génome d’un cépage, ses origines les plus anciennes et ses relations. En tenant compte de tous ces éléments, voici les cépages hongrois les plus précieux : furmint, hárslevelű, juhfark, kéknyelű, ezerjó, leányka, királyleányka, mézes fehér,bakator, budai zöld, pintes, sárfehér, kövidinka − pour n’en citer que quelques-uns. Malheureusement, ils ne sont pas tous plantés et utilisés dans la production viticole actuelle.

Ces cépages sont certainement originaires du bassin des Carpates et, à quelques exceptions, leur zone de production actuelle n’en dépasse pas les limites. Les vins élaborés à partir de ces cépages, qu’ils soient en monocépage ou d’assemblage, sont par défaut considérés comme des hungaricum.

Variétés de raisin blanc indigènes

Furmint

Il n’est peut-être plus nécessaire d’expliquer pourquoi nous consacrons une attention particulière au furmint parmi tous les cépages blancs. Au vu de ses caractéristiques, il est parmi les meilleurs au monde.

Par ailleurs, il semble évident que son profil ADN est directement lié à la région de Tokaj. Son arbre généalogique est intéressant : il descend du gouais blanc, qui a engendré d’autres grands cépages comme le chardonnay, le gamay noir, l’elbling et le riesling. Puis, selon l’analyse ADN, le croisement spontané du furmint et du plantcher a donné naissance au cépage hárslevelű. Bien entendu, comme dans tout autre domaine, il existe vraisemblablement de nombreuses théories, mais les méthodes de recherche actuelles corroborent celle-ci.

Le furmint donne sa pleine mesure sur les sols compacts, profonds et riches en minéraux, mais il s’épanouit également sur les roches volcaniques et le lœss. En revanche, il ne tolère pas les sols sablonneux et pierreux.

Sur les terroirs les plus prestigieux d’avant-guerre, le furmint donne des petites grappes bien fournies. Les vins issus de ces vieux clones sont beaucoup plus concentrés et riches en goût que ceux issus des vignes plantées après 1945. Il convient toutefois de noter que certaines des nouvelles variétés clonées font l’objet d’un grand intérêt des vignerons, car elles produisent des grappes plus grandes et plus lâches, qui, dans certaines conditions de sol, donnent des vins de très grande qualité.

Le furmint n’est pas une variété facile à cultiver. Sa croissance vigoureuse et sa teneur en acides sont un véritable casse-tête pour les vignerons de Tokaj et de Somló.

Malheureusement, en lien avec son teneur en acide, il est difficile de maitriser sa vendange sans que les grappes ne présentent des signes minimes d'oxydation.

C’est toute une danse sur le fil du rasoir. Sans aucun doute, sur un bon terroir, dans un bon millésime, avec un travail viticole soigné, le furmint produit du vin emblématique d’excellence. Il se distingue par un caractère marqué, coloré, mais élégant et sobre, avec une texture fine et des proportions impeccables. Bref, tout ce que l’on peut attendre d’un très grand cépage.

L’acidité élevée du furmint lui donne son caractère inimitable et la finesse par laquelle on le reconnaît. En raison de son potentiel en sucre élevé, il a également une teneur en alcool plus important. Son arôme sera toujours prononcé et variétal, même à des concentrations plus faibles. Il présentera souvent des notes de poire, de coing et de clou de girofle. Élaboré à partir de raisins récoltés à parfaite maturité, le furmint, qu’il soit sec ou doux, offre une qualité raffinée, corsée et distinctive. Il est à noter que les arômes et les saveurs du furmint cultivé dans la région de Somló seront plus retenus.

Le furmint atteint son apogée à l’âge de 3-4 ans et y reste pendant dix à quinze ans, mais des grands vins secs d’exception peuvent conserver leur potentiel pendant plusieurs décennies. En fait, la grandeur du cépage vient de la pureté de sa saveur, et son élégance n’est comparable qu’aux rieslings secs du Rhin. Avec la salinité du sol volcanique, la belle acidité qui constitue sonessence, ce vin plaira avant tout aux connaisseurs de plus haut niveau. En résumé, le furmint n’est pas un vin de débutant.

Juhfark

Le juhfark(« queue de mouton »), dont l’histoire remonte à des centaines d’années, est aujourd’hui presque exclusivement confiné − à l’exception de quelques petites parcelles sur le haut plateau du Balaton et de Badacsony − à la région de Somló. Par ailleurs, on y retrouve d’autres cépages qui s’y plaisent, notamment le riesling et le furmint. En raison de certaines similitudes de ses caractéristiques morphologiques, le juhfark est souvent confondu avec un autre cépage dénommé csomorika, cépage autochtone certes, mais qui ne présente aucune qualité particulière. Le juhfark, qui par sa forme nous rappelle la queue du mouton, est un cépage très sensible à la pourriture, y compris à la pourriture noble, le botrytis.

La rusticité de ses acides justifie une sélection rigoureuse. Seuls des raisins très mûrs et souvent de petits rendements donnent un grand vin. Ses arômes sont plutôt neutres, et marqués de notes florales dans les millésimes plus frais.

L’élevage en barrique est nécessaire, bien que nous ayons goûté quelques bons juhfark qui ne sont pas passés en fût de chêne. Le juhfark demande donc de la patience de la part du vigneron et de son consommateur, il ne faut pas le brusquer, ni essayer d’en faire un vin léger à boire à la hâte.

Du point de vue gastronomique, le juhfark est un vin du bassin des Carpates, il accompagne donc parfaitement toutes sortes de plats à base de choux. Par ailleurs, comme c’est un vin blanc sec, vif et minéral, il s’accorde naturellement bien avec la fraîcheur, la minéralité et l’iode des huîtres et des crustacés. Un conseil pour tous les consommateurs de vin de Somló : servez-le un peu plus tempéré, à 14-15 degrés.

Cépages rouges répandus non indigènes

Kadarka

C’est peut-être l’un des cépages les plus controversés aujourd’hui. Il est difficile à cultiver, très sensible aux maladies, et ne produit une récolte régulière que lors de millésimes équilibrés et relativement chauds. Les viticulteurs lui en veulent peut-être à juste titre, mais un nombre croissant de consommateurs l’apprécient beaucoup.

Regardons les choses en face. Le kadarka est probablement le cépage rouge le plus ancien, dont la culture était déjà pratiquée par les Hongrois dans le bassin des Carpates au tournant des 14eet 15e siècles. Ses deux lieux d’origine les plus probables sont la péninsule balkanique ou la Turquie actuelle, mais son profil ADN ne permet pas de répondre d’une manière satisfaisante à la question de l’origine de ce cépage[1].

Avec le pinot noir, le kadarka est l’un des rois des cépages. Ce qui peut tourner mal avec cette vigne… tourne généralement mal. Elle est fragile et changeantes, ce qui le rend sujet à de fréquentes mutations. Ce n’est pas un hasard si l’une des questions les plus fréquemment posées à propos du kadarka est de savoir quel est le« vrai », car il peut prendre de nombreuses formes. C’est précisément cette caractéristique de la variété qui suscite le plus de perplexité, tant chez le viticulteur que chez le consommateur. Cependant, lorsqu’il s’épanouit, le vin a un aspect léger, une structure infiniment élégante, il est riche en acidité avec une faible teneur en tannins.

Les arômes sont toujours d’abord épicés, puis fruités. L’élevage en cuve ou en fût de chêne sont tous les deux possibles − l’élevage plus long nécessite un passage en barrique. Sa longévité reste discutable, mais nous avons déjà pu goûter d’excellents vins de plus de dix ans. Les deux principales zones de production sont Szekszárd et Eger, mais les régions de Szerémség, Ménes et Hajós produisent également des vins d’excellente qualité.

Kékfrankos

Le kékfrankos est depuis longtemps le cépage le plus cultivé en Hongrie, car il se porte très bien ici. On le trouve partout, sauf dans les régions viticoles de Tokaj, Somló et Badacsony. Les quantités les plus importantes sont cultivées dans les vignobles de Kunság, Sopron, Eger, Villány et Szekszárd. Ses origines restent encore aujourd’hui quelque peu obscures. C’est dans le bassin des Carpates au sens large −incluant l’Autriche et la Croatie− que le stock génétique de cette variété a été retrouvé. Il est apparenté au gouais blanc et au gamay noir. Malgré cela, il est considéré comme un cépagerelativement récent dans les vignobles hongrois, puisqu’il était encore inconnuau début du 19e siècle.

Le kékfrankos pousse de manière fiable dans des conditions de sol variables et n’est pas affecté par un climat légèrement plus frais (région de Sopron). Il produit également des vins de qualité sur des sols riches en minéraux et sur le lœss, et dans de nombreux endroits il pousse également sur le sable (région de Hajós).

Il produit un vin vif, fruité et moyennement tannique. Lorsque le raisin est récolté mûr, le vin est agréablement acidulé et peut être un bon vin gastronomique après élevage dans des cuves en inox. Cependant, il convient également au vieillissement en petits fûts neufs, bien que le kékfrankos standard en Hongrie passe en général une demi-année dans de grands fûts traditionnels. Les deux styles ont leurs adeptes parmi les consommateurs.

À Sopron, dans la Mátra et à Eger, certains vignerons proposent un kékfrankos très concentré, mais à la structure soyeuse et crémeuse. Ici, le sol s’exprime très bien dans le vin, les arômes sont plus frais, avec souvent la framboise et la violette comme saveurs ornementales. À Szekszárd, en revanche, on trouve la méthode traditionnelle des grands kékfrankos élevés en barriques, avec une acidité luxuriante et enjouée, un fruité subtil, moins de minéralité, mais une grande structure. Villány est un peu laxiste avec ce cépage, pourtant nous avons goûté des vins extraordinaires de cette région. En plus des monocépages, il est à la base de nombreuses cuvées : les vins bikavér de Szekszárd et d’Eger, et de nombreux autres assemblages de cabernets à Villány.

[1] Jancis Robinson, Julia Harding et José Vouillamoz, Wine Grapes − A complete guide to 1,368 vine varieties, including their origins and flavours, Grape Vines, Penguin Books, 2012,p. 491.

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